L'OEIL DU CYCLONE ICI TOUT EST BEAU # 12
Portrait d'enfant par Norbert Ghisoland de Frameries
Norbert Ghisoland le petit frère du peuple
Photographe belge né en 1878 à La Bouverie et mort en 1939 à Frameries. Il photographiera durant les années 1920-1930 la population de Frameries, où son studio de village est installé, et de ses alentours.
Cette région n’est pas n’importe laquelle : c’est le Borinage, celui de "Misère au Borinage" de Storck, où l’extraction du charbon crée la richesse, la classe ouvrière, le syndicalisme et le parti socialiste.
Ils nous regardent et nous sommes captivés. Les portraits de Norbert Ghisoland magnétisent sans que l'on sache très bien pourquoi. Dans son studio de Frameries, tout le Borinage de la première moitié du 20e siècle est venu se montrer. Pays minier qui irriguait l'Europe de son charbon; pays riche peuplé de misères. Mais dans le studio, ce ne sont pas des mineurs, des paysans ou des artisans, mais un boxeur, un cycliste, de jeunes mariés, des arlequins.
Une vie travestie qui, un moment, laisse derrière elle le dur labeur, mais qui se retrouvera le soir sur la photo bien encadrée trônant sur la cheminée. On vient se montrer comme on aimerait se voir, avec ses colombes, son accordéon, son chien. Le déguisement, le costume ou la robe de bal masquent les différences sociales, même si le pantalon trop court, le bouton manquant ou les mauvais plis ne laissent guère planer de doutes. Et Ghisoland a toujours une paire de souliers vernis au cas où...Ce ne sont pas des gueules mais des personnages qui, sur fond de colonnes antiques, se recréent une vie, digne de leurs origines, de Pologne ou d'Italie, digne de leurs envies et de ce qu'ils aimeraient demain. C'est du sérieux la vie, on ne sourit pas et Ghisoland ne dit pas que « le petit oiseau »... C'est l'époque où les enfants sont dans la mine à dix ans, où ils sont d'abord de petits adultes, alors ils posent, à cinq ans, en militaire ou en jeunes mariés. Parfois, Ghisoland leur met une pipe dans la bouche ou les habille d'une robe d'infirmière en papier journal, car aussi sérieux soit-il, la fantaisie traverse son studio comme une fée perdue sur les terrils.
Il est probable que Norbert Ghisoland se considèrait comme un bon artisan, mais pas comme un artiste. Il ne doit avoir vu son oeuvre que par parcelle, au fur et à mesure qu’il a vendu ses tirages à ses clients. Sa transmutation en artiste est un effet de l’histoire.
Son père, mineur de fond, désire un autre destin que le sien pour ses enfants. Il économise de quoi acheter du matériel photographique pour son fils ainé. Celui-ci décède prématurément et c’est Norbert qui hérite du matériel et de la vocation de photographe. Il se forme auprès du photographe Charles Galladé à Mons entre 1897 et 1900, puis ouvre sa boutique, Grand’Rue à Frameries . Norbert fait partie d’une des familles protestantes qui habitent cette région qui abrita des Français fuyant à la Révocation. C’est dans cette région que Vincent van Gogh prêchera entre 1878 et 1880 entre Pâturages et Cuesmes.
Norbert installe son studio en 1902 dans la Grand’Rue de Frameries et de-vient un notable apprécié dans sa petite ville. Il y épouse en 1911 Sarah Vanfrancken, darbyste comme lui. Il décède d’une crise cardiaque en 1939. Son assistant Pol Wauquier maintient le studio en activité jusqu’à la démobilisation d’Edmond, leur fils.
Photographe de village, il voit passer toutes les couches sociales de cette région dure comme le charbon qui sort de ses sous-sols. Nouveaux-nés, cyclistes, mariés, familles pluri-générationnelles, boxeurs, paysans, militaires, propriétaires de mine, tous sont là, endimanchés, costumés ou même nus sur une peau de mouton, pour vivre le rituel particulier du passage à l’image dans le studio désuet de Ghisoland.
Le studio du photographe est à cette époque un passage obligé pour les événements
de la vie. On y mène les nouveaux-nés, les premiers communiants, les vainqueurs de compétitions sportives, les familles entières pour la naissance d’un dernier rejeton,… Le décor, qui nous paraît aujourd’hui tellement convenu et désuet, veut mettre les modèles en valeur et, pour les moins favorisés d’entre eux, les élever dans la hiérarchie sociale. Ce qui frappe chez Ghisoland, c’est la bonté du regard qu’il pose sur ses modèles, le respect avec lequel il les représente et les magnifie. La naïveté ou la timidité du sujet ne l’écrasent plus, elles le grandissent sous l’œil bienveillant de celui à qui ils ont confié leur image. 45000 des 90000 plaques négatives environ qu’il a réalisées ont été détruites en 1953. Sans doute aurait-on perdu le reste de ce patrimoine si son petit-fils, Marc Ghuisoland, lui-même photographe, ne s’était chargé depuis 1969 de sauver tout le matériel encore existant. L’attention que les galeristes et éditeurs Jacques Damase et Robert Delpire portent au travail de ce «Douanier Rousseau de la photographie» font qu’il est aujourd’hui reconnu.
Ghisoland est leur passeur. Il fait preuve d’une indéniable finesse psychologique qui donne à chacun un vraie stature face à l’objectif. Sa rigueur formelle, sa technique photographique vont donner à ses quelques 90.000 négatifs une densité qui va émouvoir ses descendants et forcer le respect du milieu photographique.
Norbert Ghisoland est un artiste qui s'ignorait, comme Henri Bergson parlait des saints qui « jamais ne sauront qu'ils l'étaient ».
Damase publie en 1977 un magistral catalogue raisonné 1910-1930 et Delpire organise une grande exposition au CNP en 1991 et lui consacre un petit livret dans la collection «photo poche» (n°48). Les éditions La Lettre volée à Bruxelles publient en 2002 le catalogue d’une exposition qui s’est tenue au Mundameum de Mons. L’introduction écrite par Alain D’Hooghe en est remarquable.
Marc et Norbert, les Gh(u)isoland |
Un jour de 1969, Marc Ghuisoland trouva dans le grenier de la maison familiale des boîtes contenant des plaques photographiques. Il y en avait plus de quarante mille qu'il s'est mis patiemment à developper. Ces photos étaient celles qu'avait réalisées son grand-père, Norbert Ghisoland. Le nom de ce photographe (dont l'orthographe a varié au cours du siècle) est désormais reconnu. Plusieurs publications lui ont été consacrées qui ne tiennent pourtant compte que d'un nombre minime de photos. Il y a une raison à cela : le développement n'en est pas terminé.
Son petit-fils, photographe, raconte le début de cette fabuleuse histoire quand il était étudiant à La cambre à Bruxelles. « Le premier véritable choc survint le jour où Otto Steinert, grand photographe allemand devant l’Éternel, faisant à l'époque, courant 1970, déjà partie de l'histoire de la photo, vint nous rendre visite à La Cambre en temps que professeur extraordinaire... Notre Otto Steinert, à qui nous devions présenter nos petites images, fut on ne peut plus odieux : rien ne trouvait grâce à ses yeux, nous n'étions que de petits amateurs et le maître s'apprêtait à nous quitter, le rictus du mépris affiché sur ses germaniques lèvres...Quand soudain, je sortis, sans le savoir, l'arme secrète...Quatre photos de Norbert... La réaction d'Otto Steinert fut étonnante : il voulait absolument tout savoir de Norbert : je ne savais pratiquement rien de mon grand-père! ».
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7.
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le 26 février 2002 | |
C’est en 1994 qu’ on peut dire que Norbert est entré "officiellement" dans l’histoire de la photo : double présence dans les deux grandes encyclopédies de la photographie publiées cette année, "Le Dictionnaire Mondial de la Photographie de Larousse" et "La Nouvelle Histoire de la Photographie aux éditions Bordas". C’est peu après qu’apparaît dans cette saga un jeune homme qui va tenter l’impossible et qui, par son enthousiasme y parviendra … presque : il s’agit de Vincent Algrain qui va tomber littéralement amoureux de l’œuvre de mon grand-père. C’est mon ami Samuel Delcroix, photographe, enseignant la photo dans une école de promotion sociale à Jemappes qui lui fit d’abord découvrir Norbert dans le cadre de ses cours. Vincent étudiait la photo alors qu’il terminait en même temps des études de bibliothécaire. Pour l’obtention de son mémoire, il faisait un stage au Mundaneum à Mons. Le Mundaneum avait été fondé en 1895 par deux avocats bruxellois, Paul Otlet et Henri La Fontaine animés par des idéaux de paix et d’humanisme. Leur but : créer un répertoire bibliographique universel qui aurait rassemblé les notices de tous les ouvrages parus dans le monde sur tous les sujets et à toutes les époques … Son installation à Mons date du début des années 1990. C’est probablement cette double casquette, à la fois photographe et bibliothécaire, qui donna l’idée à Vincent Algrain de proposer au Mundaneum l’archivage du travail complet de Norbert. Le Mundaneum qui n’en était pas à une utopie près, puisque fondé lui même sur une utopie, accepta de jouer le jeu en la personne de son directeur, Jean-Pol Deplus. Mais le travail aurait été considérable : il fallait scanner plus ou moins 40 000 plaques, les répertorier, trouver un modus operandi pour la classification … Il fallait donc de la main d’œuvre et … des sous. Il nous semblait, à Vincent et à moi, que l’intérêt provoqué par les premières images diffusées, alors qu’on en avait à peine exploité un dixième, était tel que l'on pouvait espérer une réaction positive des "édiles locaux " … Et à ma demande, une réunion fut organisée au Mundaneum, regroupant outre Didier Donfut, bourgmestre de Frameries, quelques amis influents dans le monde de l’art et de la politique, la direction du Munda, Vincent Algrain et moi-même. La mayonnaise sembla prendre : tout le monde convenait qu’il fallait faire quelque chose, et l’idée générale qui se dégagea fut la suivante : créer une ASBL " Norbert Ghisoland " qui pouvait servir d’interlocuteur officiel; Vincent serait engagé comme bibliothécaire par la commune de Frameries; il serait détaché un ou deux jours par semaine au Munda pour le travail d’archivage ; le Munda offrant ses locaux et son matériel. En plus ou moins deux ans, on pouvait avoir fini le travail, tremplin pour une exploitation future de l’œuvre du grand-père. L’ASBL "Fondation Norbert Ghisoland " fut fondée … Première étape. À ce jour, plusieurs années après cette réunion, rien de ce qui avait été convenu ne s'est réalisé… pas de deuxième étape. Par contre, la relation " Munda &Norbert " créée à cette occasion déboucha sur une solide et belle exposition dans les locaux du Mundaneum à l’occasion du festival du Film d’Amour à Mons en l’an 2000 ; "Liaisons Amoureuses", organisée par Vincent Algrain, avec l’aide pour la sélection des images, de Samuel Delcroix et de votre serviteur. Le cadre merveilleux et un peu austère du Munda (à découvrir absolument pour ceux qui ne connaissent pas) convenait parfaitement aux photos de Norbert. | |
Courtesy from http://www.lautresite.com/new/edition/carnets/1_norbert/index.htm
Un livre très élégant contenant de nombreuses photos a été édité à l'occasion de l'exposition des oeuvres de Norbert Ghisoland au Botanique (Bruxelles).
Il est disponible au magasin de Marc Ghuisoland, rues des alliés à Frameries.
J'ai une vieille photo de l'artiste
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